Questions de société

Comprendre l’oppression systémique

« Toute oppression crée un état de guerre. » – Simone de Beauvoir

J’espère que vous êtes en forme, car aujourd’hui, on s’attaque à un gros dossier : le découpage de notre société en catégories d’oppresseurs et d’oppressés, et les mécanismes de domination qui régissent les rapports entre ces catégories. Je sais, ça y est, vous avez déjà mal à la tête. Mais promis, ça va devenir plus clair.

Tout ce que je vais vous dire part d’un constat très simple : nos sociétés (et par là, j’entends notamment « nos sociétés occidentales ») sont régies par des mécanismes d’oppression systémique. L’oppression systémique, c’est tout simplement le fait que le système politique, socio-économique et social qui organise notre vie en société produit et renforce des inégalités et des discriminations subies par une partie de la population.

Ces systèmes d’oppressions systémiques sont nombreux, mais ils fonctionnent toujours grâce à des privilèges dont bénéficie la partie dite « dominante » de la population. Ce groupe de personnes bénéficie de privilèges car les membres le constituant partagent une caractéristique considérée comme étant supérieure et/ou la norme (par exemple: la peau blanche ou l’hétérosexualité). Le pendant de ces privilèges est bien sûr les discriminations subies par la partie dite « dominée » de la population, qui ne possède pas la dite caractéristique permettant de faire partie des dominants. Tout cela est systémique car intrinsèquement lié au fonctionnement de notre société, si bien qu’il est souvent compliqué de s’apercevoir de l’existence de ces oppressions et dominations tant nous y sommes accommodés.

Vous suivez toujours ? Pour rendre ça plus parlant, je vais vous parler un peu plus en détails des trois systèmes d’oppression qui sont, à mon sens, les plus facilement identifiables. Vous en connaissez très probablement certains, et si ce n’est pas le cas, croyez moi: une fois qu’on les a remarqués, on ne peut plus ne pas les voir.

I. L’oppression des femmes par les hommes

Elle découle du patriarcat, qui peut être défini comme étant « une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes ». Il est aussi vieux que l’humanité et présent dans la majorité des pays du monde, si bien que vous en avez déjà très certainement entendu parler.

Du patriarcat découle donc l’oppression des femmes par les hommes, ou sexisme, c’est-à-dire un ensemble de discriminations et d’inégalités subies par les femmes en raison de leur sexe, tandis que les hommes bénéficient eux de privilèges.

Cela se traduit par exemple par la surreprésentation des hommes dans les hautes fonctions politiques, économiques et sociales: sur 171 chefs de gouvernement français depuis 1815, rappelons qu’un seul était une femme (Edith Cresson, durant 10 mois et 18 jours sous François Mitterrand). De la même manière, selon un rapport de 2014, les femmes ne représentaient que 24% des membres des conseils d’administration du CAC40 et 17% des dirigeants d’entreprise. Tous secteurs confondus, il est beaucoup plus difficile pour les femmes d’accéder aux postes les plus élevés.

Le sexisme se traduit également par les violences subies par les femmes: violences conjugales (134 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou petit-ami en 2014), viols et agressions sexuelles (le nombre de viols et tentatives de viols étant estimé à 84000 par an en France), mutilations sexuelles (la France comptait en 2004 environ 53 000 femmes adultes qui auraient subi des mutilations sexuelles), harcèlement sexuel, harcèlement de rue… Sans parler de la sexualisation du corps de la femme, du slut-shaming, des préjugés sexistes, et j’en passe.

II. L’oppression des personnes racisées par les personnes blanches

Plus connue sous le terme de racisme, elle se traduit par l’existence du privilège blanc, dont bénéficient les personnes blanches, et de discriminations subies par les personnes de couleur (également dites racisées). Les discriminations subies peuvent être différentes selon que l’on soit noir, arabe, asiatique, etc, mais toutes ces catégories de personnes ont un point commun: celui d’être désavantagées par rapport aux personnes blanches. J’avais d’ailleurs déjà eu l’occasion de l’évoquer dans mon article sur le racisme anti-blanc.

Les privilèges dont bénéficient les personnes blanches sont en place depuis des centaines d’années, et l’oppression des racisés s’est illustrée de nombreuses manières au fil des siècles: l’esclavage, qui existe depuis l’Antiquité et a notamment eu cours à partir du 16ème siècle après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, la colonisation de l’Afrique, l’Asie et l’Amérique par les grandes puissances européennes, puis la ségrégation au 20ème siècle…

Si, de nos jours, le racisme n’est plus ouvertement orchestré par l’Etat, l’oppression systémique des personnes racisées existe encore bel et bien, et le racisme est profondément ancré dans les consciences. On peut notamment mentionner aujourd’hui les contrôles au faciès subis par les personnes racisées (selon une étude du Défenseur des droits en date de cette année, les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » par la police), les violences policières (on se souvient de l’affaire Théo en février dernier), les difficultés d’accès à l’emploi et au logement (selon l’INSEE, la discrimination à l’embauche à l’encontre des candidats issus de l’immigration était de l’ordre de 40% en 2013), sans parler des préjugés racistes et blagues plus que douteuses… Tous des exemples du racisme encore bien présent dans notre société.

III. L’oppression des personnes non-hétérosexuelles par les hétérosexuels

On parlera plus souvent d’homophobie pour désigner cette forme d’oppression, mais elle inclut aussi la biphobie  (forme de discrimination qui touche les personnes bisexuelles), et de manière plus générale, toutes les formes de discriminations dont sont victimes les personnes non-hétérosexuelles.

Cette oppression est également systémique car directement liée à l’hétéronormativité de notre société, c’est-à-dire la croyance selon laquelle l’hétérosexualité est la sexualité « normale » par définition, voire la seule sexualité possible et valable. Ce système hétéronormatif donne donc des privilèges aux personnes hétérosexuelles, dont est dépourvu le reste de la population.

Cette forme d’oppression se traduit, en France, par des violences (qui concernaient 13% des manifestations de LGBTphobies en 2016 selon le rapport de SOS Homophobie), des insultes (45% selon le même rapport), du harcèlement (13%), et plus largement, des comportements de rejet et/ou d’ignorance subis par les personnes LGBTQ+ (58%). A l’échelle mondiale, la situation de l’oppression des personnes non-hétérosexuelles est encore bien plus préoccupante, avec notamment 72 pays où l’homosexualité est toujours illégale.

L’oppression des personnes non-hétérosexuelles se traduit également par la difficulté pour les jeunes LGBTQ+ à accepter leur sexualité, par la peur ressentie par les couples de même sexe de subir insultes et/ou violences en affichant publiquement leur relation, ou encore par le fait que la loi les traite différemment (par exemple, la PMA est toujours interdite aux couples de femmes).

Conclusion

Ces formes d’oppression ne sont pas les seules qui existent, mais elles me paraissaient être les plus évocatrices et les plus faciles à repérer et à comprendre. J’aurais également pu vous parler de l’oppression des personnes transgenres (qui, bien qu’elle fasse partie de la catégorie plus large de l’oppression des personnes LGBTQ+, possède ses propres caractéristiques) ou encore des personnes dites « neuro-atypiques » (autistes, bipolaires, etc).

L’important à retenir de cet article (qui commence à se faire long) est que nous évoluons tou.te.s dans un système qui produit et renforce des inégalités et qui est basé sur des systèmes d’oppressions vieux comme le monde. Chacun.e de nous appartient à la catégorie des oppresseurs ou des oppressés selon les cas (puisqu’étant donné qu’il y a plusieurs types d’oppressions, elles se combinent. Par exemple: en tant que femme blanche, je suis l’oppressée dans le cas du sexisme, mais l’oppresseur dans le cas du racisme). Cela ne veut pas dire qu’en tant qu’oppresseurs/dominants, c’est-à-dire de personnes bénéficiant de privilèges, nous oppressons activement la catégorie des oppressés/dominés, mais il est primordial de garder à l’esprit que nous le faisons bien souvent inconsciemment, car tout le système dans lequel nous évoluons est construit en ce sens et nous y pousse fatalement.

D’où l’importance de prendre conscience de ces systèmes d’oppression, afin de s’en détacher et de ne plus les alimenter : on appelle ça la déconstruction, dont je vous parlerais peut-être plus en détails dans le futur. Comprendre les systèmes d’oppression est essentiel pour se battre contre eux et promouvoir l’égalité pour tou.te.s, c’est pourquoi il me paraissait vraiment important de vous expliquer un peu tout ça.

J’espère que j’ai réussi à être claire et que cet article vous aura plu, n’hésitez pas à le partager si c’est le cas et à m’adresser toutes vos remarques éventuelles par commentaire ou sur twitter. Je suis moi-même en cours de déconstruction, alors il n’est pas impossible que je fasse des erreurs ou des approximations, alors si vous le remarquez, n’hésitez pas à le dire !

Je vous retrouve très vite,

Jeanne.

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